En quête d'un grand peut-être : guide de littérature ado - Tom et Nathan Lévêque

 

Nouvelle masse critique avec En quête d'un grand peut-être de Tom et Nathan Lévêque.

Qu'ils soient  ici remerciés, ainsi que Babélio.


Et bah les amis, c'est de la bien belle ouvrage que je tiens là entre les mains.

Alors on va être clair, une fois de plus je montre mon ignorance des réseaux : je ne connaissais ni Tom, ni Nathan, ni leurs chaines Youtube, ni ce livre qui a fait l'objet d'un financement participatif.

Bon.

Les frères Lévêque ont réussi un coup en réalisant un ouvrage presque complet et qui, de mémoire, est premier sur le sujet. Il n'est pas sans faire penser Panorama illustré de la Fantasy et du Merveilleux des Moutons électriques (bon là on était dans le beau livre avec boitage, grand format etc.). Ici on est sur le manuel commode sans sacrifier à la qualité de l'objet : format presque carré, rabat, jolie quadrichromie, la maquette est impeccable, le graphisme tout autant, et seules quelques coquilles typo surnagent (péché véniel). Voilà un objet que l'on est heureux de posséder et le prix reste très abordable ce qui ne gâche rien.

La littérature ado est ainsi quasiment née sous nos yeux et son acte de naissance est celui du jeune magicien de Poudlard. En 5 grands chapitres les auteurs retracent l'histoire de ce nouveau segment littéraire. Ils tentent de le circonscrire (pas facile) et si cette littérature peut avoir un caractère d'évidence, il semble difficile de réussir à la définir. Les auteurs semblent s'accorder pour dire qu'elle est une littérature des premières fois et de l'intensité.

Dans un deuxième temps ils nous proposent une sélection.

Oui ! un top 100 en nous expliquant comment ils ont composé cette liste, qui a le mérite d'exister. Forcément, il y a des absents et des présents inexplicables, mais c'est la loi du genre. Et on ne peut que reconnaitre l'honnêteté de la démarche. Le processus de sélection est expliqué avec des phases différentes et des intervenants successifs, donc n'est pas uniquement limité aux goûts des deux auteurs. Il est un peu surprenant toutefois de voir des noms identiques à la fois dans le jury et dans les sélectionnés.

Puis les thématiques qui traversent la littérature ado sont détaillées : sexualité, migrations, mort (j'ai particulièrement apprécié ce -trop- court chapitre de Anne-Pauline du blog apireading)... Enfin la question des chemins qui mènent à la littérature ado est esquissé, entre choix des couvertures pour l'éditeur et prescriptions par les pairs.
Ce chapitre aurait véritablement gagné à être un peu plus développé, à nous en donner un peu plus... Enfin l'ouvrage se finit sur une boite à outils techniques : quels sont les prix ? les lieux physiques et numériques ? les salons de la littérature ado ? ou encore quelques focus sur la législation ou la presse...

Pourtant, un certain nombre de choses m'ont fait tiquer à la lecture de l'ouvrage.

Quasiment dès l'ouverture le guide éprouve le besoin de tuer le père, pardon la mère.
J. K. Rowling.

En des termes ampoulés il lui est fait un procès en transphobie. Découvrir la nécessité de s'affranchir de toute révérence à la personne de l'auteur pour conserver la relation au texte est somme tout plus intéressant que ce nouvel avatar de la cancel culture.

Découvrir que l'auteur (auteure ? autrice ?) anglaise est une personne forcément imparfaite, est peut-être une première étape vers l'âge adulte. Car d'ado, comme d'adulte finalement, ici il n'y en a point. Sauf ceux qui se cachent d'en être. Et c'est peut-être l'autoportrait d'une génération qui se fait jour, véritable projet de l'ouvrage. Une génération qui a grandit avec Harry Potter.

Pourtant, quid des professeurs ? quid des profs-docs ? des libraires ? des éditeurs ? des bibliothécaires ? Alors on dira que les portraits qui émaillent tout le livre permettent de combler ce vide certes mais seulement sous l'angle de la personnalisation. Les parents sont, eux, totalement absents.

Les prescripteurs adultes sont réduits à une vision caricaturale reposant soit sur le double sens médical du mot, soit à une vision assez datée et réductrice du rapport parental à la lecture. Comme si celui-ci ne saurait se penser à l'aune du plaisir partagé ou offert. Et que les adultes qui n'aiment pas cette littérature se le tiennent pour dit : ils ont tord. Et, s'ils l'aiment, alors c'est pour de mauvaises raisons comme l'explique Clémentine Beauvais dans un des textes de contributeurs qui émaillent l'ouvrage. Homme de paille quand tu nous tiens...

Ce qui semble se dessiner est un territoire d'exclusion. Ne faut-il être qu'un jeune adulte pour avoir le droit d'aimer, conseiller ou éditer de la littérature ado ? ou a-t-on tord de l'aimer quand même pour des raisons qui semblent leur échapper ?

Les auteurs précisent leur pensée en reprenant à leur compte le discours des own voices réclamant plus d'auteurs et éditeurs issus des minorités intersectionnelles. Celles-ci seraient plus à même de rendre compte de la diversité et des vécus que des non-concernés. D'où la nécessité de sensitivity readers, relecteurs traquant les "fautes" dans les représentations des minorités. Ainsi que d'une plus grande diversité dans les maisons d'éditions.

On en est là.

Ce qui constitue à mon sens l'impensé, l'aporie de l'ouvrage lorsqu'on reproche à J.K. Rowling d'être ce qu'elle est et en même temsp de vouloir plus de personnalisation dans le petit monde de l'édition.

Pourtant, et bien que j'ai le tord d'être un homme blanc cisgenre de la génération X, je persiste à penser que la puissance de la Littérature, oui celle avec un grand L, se déploie pour tous les lecteurs indépendamment de leurs âges, couleurs et conditions. Elle se déploie dans tous les genres, n'en déplaise aux grincheux. Littérature mainstream, ado, SF fantastique, jeunesse, enfantine... tous ces segments ont leurs chef-d'œuvre. Ils sont le fruit du génie et du travail de l'auteur et de l'éditeur. Et tant pis pour l'appropriation culturelle. Comme toujours, Victor Hugo est la réponse.

Je ne résoudrai pas ici cette tension qui traverse notre époque, d'autant plus que je me résous pas non plus à l'écriture inclusive tant dans sa (lourde) syntaxe que dans ce point médian intempestif.

Donc, finalement, un ouvrage à la fois passionnant car novateur, et problématique dans ses orientations, ce qui est, somme toute, une qualité en nous sortant de notre zone de confort de lecteur.

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