Les Chevaliers de la Table Ronde - François Johan et Raymond Monneins




Il y a bien longtemps, alors que j'errais dans les travées du CDI du collège où je venais d'arriver, je suis tombé sur ces cinq titres de François Johan : Les Chevaliers de la Table Ronde.
Je les ai lu à l'époque dans une sorte de transe dévoratrice d'ouvrages. Ils me laissèrent une impression puissante. Comme une lecture fondatrice, une porte s'ouvrait sur quelque chose de beaucoup plus grand.

Ils furent les premiers d'une longue série.
Je ne raconterai pas ici le contenu de ces ouvrages, nous les connaissons tous. Et pourtant, chaque nouvelle parution est une recréation car la matière arthurienne (ou de Bretagne) est avant tout une matrice à histoires. Lorsque Chrétien de Troyes fixe l'histoire de Perceval, il est déjà l'héritier d'une longue tradition orale dont on ne peut qu'imaginer qu'elle charriait déjà une multitude d'histoires toujours différentes, de versions toujours semblables et toujours renouvelées. Il faut se libérer du fantasme du texte originel dont tous les autres découleraient. Il n'y a pas de version "vraie" et toutes les autres seraient de plus ou moins bonnes adaptations. Chaque nouvel ouvrage s'inscrit dans une tradition d'écriture collective et chaque auteur est l'héritier des versions précédentes dont il reprend ou abandonne tel ou tel motif. On pourrait alors faire une longue liste de tous les auteurs qui, à un moment où un autre, ont repris à leur compte et ont enrichi l'univers arthurien en le modelant à leur vision du monde : J. Cocteau, G. Appolinaire, J. Gracq, M. Morpurgo, T.H. White, B. Cornwell, M. Z. Bradley...

Alors par où commencer dans cette multitude de parutions ?
À ma connaissance, il n'y a pas de meilleure initiation à la littérature arthurienne que d'ouvrir un ouvrage de François Johan.
En cinq tomes, ils balisent un monde intemporel qui débute avec la naissance de Merlin et qui s'achève avec la mort d'Arthur.
Mais surtout, quelle langue ! François Johan est un magicien des mots : une langue brève et poétique, concise et évocatrice. Ici, tout n'est pas dit, le texte est comme un éclat, une réverbération, une inspiration dont on ne perçoit que l'écho. À rebours d'une conception de la littérature de jeunesse qui dirait tout simplement, François Johan ne dit pas tout, mais laisse tout apparaitre.
Cette réception est renforcée par les extraordinaires images de Raymond Monneins. Il a composé des gravures qui renvoient à un monde "boschien". Ces gravures n'illustrent pas, elles sont énigmatiques, elles montrent tout en cachant, elles ne redisent pas le texte, elles l'évoquent. Elles propulsent l'imaginaire du lecteur, non pas dans l'univers convenu de la représentation médiévale, mais dans un monde mythique, au sens littéral du terme.


Je n'ai jamais compris pourquoi, depuis le début des années 90, cet illustrateur a été remplacé par d'autres qui ne lui arrivent non pas à la cheville, mais ne serait-ce qu'à l'orteil...
On trouvera donc les textes de François Johan constamment réédités depuis une trentaine d'années. Je ne sais pas s'ils ont été "retouchés" depuis, et je n'ai pas vraiment envie de savoir.
En revanche, sur les sites de vente d'ouvrages d'occasions, on trouve encore (il suffit de changer le numéro de 1 à 5 dans la recherche pour trouver les cinq exemplaires) cette vieille et magique version, celle de François Johan et Raymond Monneins, dans la collection L'ami de poche, chez Casterman...





à qui l'offrir ?

- à un collégien qui ne sera pas rebuté par un ouvrage ancien, à défaut lisez-lui ;
- à un bibliophile ;
- à un ado rêveur ;
- à celui qui veut entrer en littérature arthurienne par la plus belle porte.

Pour prolonger la lecture :

Si vous avez aimé ces Chevaliers de la Table ronde, vous aimerez peut-être lire d'autres ouvrages qui réécrivent le mythe, mes préférences vont aux ouvrages suivants :



- la trilogie de Bernard Cornwell : Le Roi de l'hiver, L'ennemi de Dieu, Excalibur. Ici on n'est pas du tout dans un texte de littérature "poétique", mais dans un ouvrage qui sent la poussière, le sang, les haines irréconciliables et les amours impossibles. B. Cornwell utilise un dispositif narratif très malin : le narrateur, vieux moine au bord de la mort, raconte à une dame noble comment s'est vraiment passé la vie et la mort d'Arthur car il fut un de ses plus proches affidé. Et pourtant, elle refuse d'entendre cette version, elle ne veut entendre qu'une version "vraie" qui confirmerait les chansons et la mythologie arthurienne qu'une génération plus tard on raconte déjà. Une fois ouverts, on ne les lâche plus.


Deux ouvrages parmi des dizaines d'autres "sur" le monde arthurien :
 
- La légende du roi Arthur est le catalogue de l'exposition qui s'est tenu à la BnF il y a deux ans. J'ai eu le bonheur d'y aller et de voir les dizaines de manuscrits médiévaux superbement illustrés. L'exposition en ligne est consultable ici. Ce catalogue, qui reprend chaque ouvrage exposé en suivant les étapes de l'exposition, est d'abord un bonheur éditorial : beau livre, belle édition. Mais surtout c'est un point précis et documenté (à réserver aux passionnés un peu avertis donc) sur l'histoire et la diffusion des textes et motifs arthuriens dans la culture occidentale. Merci du cadeau Sébastien !






Moins aride, ce Mythe et réalités, histoire du Roi Arthur est très joliment illustré et à un prix imparable (17 euros) présente le monde arthurien en plusieurs contributions toujours accessible. Une belle réussite aux éditions Ouest-France dans une collection inégale.


















Pour entrer en musique dans les légendes de Brocéliande, le label musical Prikosnovénie de Clisson a édité un ouvrage magnifiquement illustré par Sabine Adélaïde, Les Berceuses et légendes de Brocéliande et dont votre serviteur a composé quelques textes.









Une vision totalement hallucinée par John Boorman : Excalibur réalisé en 1981

 












Pour entrer dans un autre univers de légendes, les deux ouvrages de Murielle Szac : Le feuilleton d'Hermès et Le feuilleton de Thésée. Mais j'en parlerai bientôt.



Commentaires

  1. Voilà une chronique très intéressante !
    J'aime les différentes pistes de lecture que tu nous suggères...
    Et puis quelle chance tu as eu de pouvoir te rendre à cette exposition ! Les enluminures sont magnifiques !

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  2. Merci !
    Tout est beau et bon dans ces pistes (il y en a bien d'autres d'ailleurs) : je te conseille vraiment l'ancienne édition de F Johan. À bientôt !

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