L'usage des armes - Iain M. Banks





L'histoire : Cheradenine Zakalwe est un mercenaire. Lorsque Circonstances Spéciales le contacte pour une mission de déstabilisation dans un système qui ne fait pas partie de la Culture, il n'hésite pas. Or, cette mission, a priori banale va se télescoper avec les souvenirs de Cheradenine qui remontent progressivement. Cette mission est-elle ainsi si banale ? Et pourquoi est-ce lui que Circonstances Spéciales a embauché ?

L'usage des armes est un des tomes du cycle de la Culture de Iain M. Banks.
Ouvrir un livre de la Culture c'est vraiment entrer en science-fiction. Au sens de découvrir un monde résolument autre. Un monde, un avenir probable et pourtant singulièrement étrange, à mille lieux des représentations traditionnelles de la SF.
La Culture est une société galactique. Elle est la société, la fin de l'histoire. Une société anarchique, ultra tolérante où tous les humains voient tous les désirs satisfaits et mènent des vies à crever d'ennui dans des vaisseaux grands comme des planètes répondant au noms aussi exotiques que Service couchettes ou Main de Dieu 137. Bien évidemment, les humains sont entourés de nombreuses IA : esprits des vaisseaux aux objectifs mystérieux, drones malicieux, de mauvaise foi et qui parfois, se font les émissaires de Circonstances Spéciales.
Car si la Culture est la société, elle n'est pas la seule. Et toutes les autres ne sont pas aussi tolérantes qu'elle. Il faut donc bien faire quelque chose, mais quoi ? C'est là qu'intervient Circonstances Spéciales. Circonstances Spéciales, c'est le nom de ce qui ressemble le plus à des services secrets, à ces agents d'influences qui manipulent les sociétés extérieures afin qu'elles intègrent la Culture. La Culture est tolérante, certes, mais pas jusqu'au point de laisser vivre ce qui lui résiste...
Et quoi de plus passionnant pour des citoyens gavés d'ennui que de se frotter un peu au mal qu'incarnent ces cultures barbares ?
Cheradenine est un de ces citoyens auxquels Circonstances Spéciales fait appel pour résoudre des crises, il est même devenu mercenaire, et ce, depuis un très vieux souvenir...

Iain M. Banks articule son écriture autour d'un dispositif proprement psychanalytique où les souvenirs les plus accessibles sont ceux qui ont peut-être le moins de poids dans la psyché de l'individu. De proche en proche, de chapitre en chapitre, l'auteur construit par petites touches ce qui fait l'unité d'un être et montre comment un moment, une décision peuvent déterminer toute la vie d'un homme. Le titre L'usage des armes en devient particulièrement glaçant.
Le procédé utilisé par Iain M. Banks pour rédiger cet ouvrage donne la mesure du projet littéraire : les paragraphes sont numérotés et imprimés dans l'ordre suivant : 1, XIII, 2, XII, 3, XI, etc. Les chapitres en chiffres arabes racontent la mission de Cheradenine, les chapitres en chiffres romains racontent les souvenirs de Cheradenine, du plus récent au plus ancien. Or comme le montre Gérard Klein dans sa préface, on peut lire dans l'ordre de l'ouvrage (cf. ci-dessus) ou alors 1, 2, 3 etc. suivi de I, II, III etc. ou l'inverse en fonction de son choix de lecture : chronologique dans l'histoire du personnage par exemple. La gestion de l'information fait ici l'objet d'un travail d'orfèvre, et bien sûr, les deux derniers chapitres dans l'ordre imprimé se télescopent et donnent un sens tout particulier au twist final de l'ouvrage.
Pour moi qui suis fan de révélations finales que tout annonce mais que l'on ne voit pas arriver, ainsi que des histoires à structures en entonnoir (deux arcs narratifs croisés l'un chronologique, l'autre antéchronologique et leur croisement donne un sens tout particulier à l'histoire, il en est le climax), L'usage des armes est un véritable chef d’œuvre. Pas forcément accessible à tous, du fait d'un rythme lent et d'une sensation d'absolue étrangeté qui peut dérouter les moins sensibles à la SF, L'usage des armes crée un vrai sentiment de distance grâce à une langue très travaillée, un tissu textuel très maitrisé.

Dans tous les cas, vous ne regarderez plus jamais une chaise de la même façon...


À qui l'offrir ?

- à ceux qui aiment les textes très travaillés ;
- à ceux qui veulent découvrir un space-opéra avec une voix singulière ;
- à ceux qui pensent que la SF, ce n'est pas de la littérature.


Pour prolonger la lecture :

Si vous avez aimé L'usage des armes, vous aimerez peut-être :


- d'autres ouvrages de Iain M. Banks : les autres titres de la Culture m'ont moins convaincu. Je suis passé à côté d'Excession malgré un sujet passionnant et L'homme des jeux, qui suit un tournoi d'un jeu imaginaire souffre du même défaut que Le maître d'escrime d'Arturo Perez-Reverte où il faut maîtriser les termes et concepts de l'escrime pour jouir de l'histoire. Ici on ne peut que se représenter le jeu sans vraiment le comprendre et le roman en souffre. À relever que l'auteur utilise son nom sans le M central pour signer des ouvrages mainstream tels que Entrefer.





- Les œuvres de Christopher Priest tels que Futur antérieur, Le prestige, Le Glamour, Le monde inverti ou La séparation pour un style, un rendu, une perception très proches du travail de Iain M. Banks.





- La Grande Porte de Frederik Pohl. Dans un style très accessible et avec beaucoup d'humour F. Pohl utilise également le principe de la structure en entonnoir avec beaucoup d'efficacité.
Dès 14-15 ans.








- au cinéma, un film au dispositif similaire, Memento. Ce film australien est assez prodigieux. Avec tous les acteurs de l'île que l'on connait ailleurs depuis, le montage et la révélation finale nous plongent dans la situation du héros qui oublie les 15 minutes précédentes. On notera qu'il s'agit d'un des premiers films de Christopher Nolan qui a fait depuis un Inception aux thématiques proches.

Commentaires

  1. Et pour ceux qui veulent toucher à une forme de réflexion philosophico-politique sans en avoir l'air : http://www.actusf.com/spip/Quelques-notes-techno-politiques.html

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  2. Cette notion de récit en entonnoir attise ma curiosité. Comme exemples assez proche je pense à Notre île sombre de Priest et Catch 22 de Joseph Heller. Ca marche aussi avec Following le formidable premier film de Nolan (juste avant memento). As-tu d'autres exemples en tête mis à part les exemples que tu cites ?

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  3. En fait je n'ai pas trouvé d'autre image pour exprimer ce style de structure : l'entonnoir est vu en coupe, il est comme une ligne temporelle, et le goulot est l'hapax existentiel, le noeud du roman. La narration est comme le fluide qui s'écoule le long des parois de l'entonnoir : dans le sens temps 1 vers temps 2 sur le bord gauche et de temps 2 vers temps 1 (de droite à gauche) sur la paroi droite de l'entonnoir... Bon à écrire c'est un peu confus, mais c'est surtout une image mentale... L'exemple le plus fort est, après L'usage des armes est La grande porte de Pohl http://leslecturesdecyril.blogspot.fr/2014/06/la-grande-porte-frederick-pohl.html

    Je recherche d'autres exemples qui fuient ma mémoire trouée.

    Tu attises ma curiosité avec les autres titres !
    Merci de ton passage

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