Le commencement de l'infini : les explications transforment le monde - David Deutsch


Nouvelle Masse critique avec Le commencement de l'infini de David Deutsch. Que Babélio et les Editions Cassini soient ici remerciées (et que je sois pardonné pour le retard pris à rédiger cette critique).

Parce que il faut dire les choses.

Quand on reçoit un ouvrage par un éditeur dans le cadre d'une Masse critique, on le reçoit donc gratuitement et en échange on (ici c'est moi) doit rédiger une critique de l'ouvrage, c'est le deal.

Pas de problème.

Enfin si, un. 

On doit le faire dans les 30 jours. OUI ! 30 !

Alors pour une BD, pour un polar c'est easy comme ils disent. Mais pour un livre de David Deutsch, vous voulez que je vous dise ? franchement c'est Mission impossible.

C'est bien simple, pour le lire je vais à la vitesse Brian Greene. La "vitesse Brian Greene" c'est mon étalon de vitesse de lecture lente (expliquée ici). Un peu comme si je me rapprochais du trou noir dont il essaie de m'expliquer la distorsion temporelle : moi je vais toujours à la même vitesse, mais de l'extérieur c'est le nombre de pages/jour qui diminue jusqu'à sembler s'immobiliser définitivement. Je comprends l'impatience des mes interlocuteurs, c'est juste qu'il faut que cela percole dans mon intellect.

Revenons donc à David Deutsch et au Commencement de l'infini. Parce que Nom de Zeus !, quel bouquin ! 
Ce que le bonhomme veut faire c'est, modestement, de fonder une théorie générale de la Connaissance, rien que cela. C'est une réflexion sur l'évolution de l'acquisition des connaissances à travers les âges, et des modalités de l'érection du savoir-commun et des conséquences qui en découlent. Le commencement de l'infini, c'est la mise en place du système de conjectures et des "bonnes explications", celles qui sont efficaces à l'épreuve des faits et qui sont, en même temps, constamment perfectibles. Car "il y aura toujours des problèmes" et ceux-ci résultent d'une insuffisance du savoir confronté au réel à un moment donné.

Ce livre dont le sujet central est l'épistémologie au sein de l'espèce humaine est d'une incroyable densité par le brassage des concepts et des théories mises en avant, analysées, décortiquées, malaxées sous toutes les coutures et... jetées au rebut sans remords lorsque l'auteur montre qu'elles sont insuffisantes, incomplètes, fausses etc. Instrumentalisme, justificationnisme, réfutationnisme, inductivisme, empirisme, réalisme, relativisme, tous les "ismes" sont passés au crible dans un premier chapitre de haute volée qui indique clairement que le lecteur va devoir aller se changer au niveau de son équipement intellectuel pour cette lecture. On ne part pas faire le K2 en espadrilles, que diable !

C'est à cet endroit que je veux tirer mon chapeau aux traducteurs, nommons-les : Jacques Treiner et Françoise Gicquel. Parce que déjà c'est dur à lire en français, je ne veux même pas imaginer ce que cela a dû être en anglais. D'autant plus qu'ils ont su habilement nous dispenser de la syntaxe alambiquée de l'anglais que certains traducteurs, le nez au raz du tapuscrit, n'arrivent pas toujours à éviter de nous infliger.

Parce que le texte n'est pas difficile à vrai dire, il est surtout follement ambitieux, donc ardu. Il demande au lecteur une attention et une vigilance que le corps allongé de 23h30 n'arrive que rarement à mobiliser. Il m'a rappelé la lecture des travaux d'un Piaget (il y a déjà trop longtemps). J'en étais sorti rincé par la puissance d'une pensée qui ne veut rien laisser au hasard, ni éluder un quelconque tenant ou aboutissant de ses propositions.

Probablement conscient d'avoir à accompagner son lecteur, Deutsch le prend par la main en lui offrant à la fin de chaque chapitre un glossaire des termes et notions employés, la signification que l'expression "le commencement de l'infini" prend dans ce chapitre et un résumé de celui-ci. Alléluia !

Alors évidemment, quelques défauts parsèment l'ouvrage. Je n'ai vu qu'une coquille, ce qui, vu la densité, est franchement admirable (bravo Cassini). En revanche, on ne peut que relever un anglosaxon-centrisme finalement assez peu surprenant pour qui a l'habitude de lire ces scientifiques, mais bon, d'estimer que les Lumières sont essentiellement anglaises, comment dire... (Kant et Descartes, Voltaire, Diderot et les autres vous pouvez allez vous rhabiller, la violence de la Révolution française ayant eu le mauvais goût de disqualifier selon l'auteur toute la tradition intellectuelle française les Lumières seront anglaises "I said", frenchbashing quand tu nous tiens...).
Et on retrouve peut-être également un peu le défaut relevé chez John Barrow qui est de vouloir étreindre l'entièreté du savoir dans une seule théorie générale. Et si cette théorie repose sur la réflexion puissante de David Deutsch, elle parcourt (très) cavalièrement les autres domaines scientifiques, en particulier historiques. Ainsi réduire la Renaissance italienne à la seule influence de Lorenzo Médicis, euh, comment dire ?

Cela n'est pas sans faire penser au défaut majeur du stimulant Sapiens de Yuval Noah Harari. Celui-ci, au détour d'un argument (le fameux "nouveau câblage mental des années -70000", jamais justifié ni expliqué), déroule une vision évolutionniste de l'Histoire avec un grand H où tout semble devoir rentrer dans le moule pensé par l'auteur, certes passionnant, mais dont le systématisme laisse un peu (très ?) perplexe.

Ces défauts mis à part, l'ouvrage est absolument passionnant, mais là il faut que je vous laisse, il me reste encore 200 pages à lire. 

Parce que vous croyez quoi ? que je l'avais fini ? L'exigence de vérité de Deutsch impose l'honnêteté du critique.

En tout cas je ne peux que vous recommander Le commencement de l'infini en se rappelant qu'une bonne tasse de café sera votre meilleure aide face à un texte ambitieux, ardu, mais en tout cas passionnant.


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