Garôden - Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura





J'ai déjà dit ici tout le bien que je pensais de Jirô Taniguchi. Quartier lointain est un pur chef d’œuvre, Le journal de mon père mérite également cette appellation et je viens de terminer Le sommet des dieux dont je vous parlerai bientôt. Seul L'homme qui marche m'a paru sans intérêt.

L'histoire : Bunshichi Tanba est un dôjô-yaburi, un combattant solitaire qui défie les écoles de lutte, les unes après les autres, hors de toute manifestation officielle. Hanté par un combat perdu et inachevé, il n'a de cesse de retrouver et de défier une nouvelle fois Kajiwara alors inconnu et depuis devenu une star de la lutte...

Bon... comment dire ? Voici un manga parfaitement dispensable, inintéressant au possible à mon sens. J'ai attendu la première dernière page (je ne me ferai définitivement pas au sens de lecture inversé) pour espérer y trouver un quelconque intérêt, mais non, rien. Les combats se succèdent, entre provocations de rues et manigances de la fédération de catch, au nom de motivations qui restent étrangères au lecteur. Il veut se battre, il ne pense qu'à ça... Grand bien lui fasse ! Mais il ne travaille pas, on ne sait pas comment il vit et de quoi. Et en fait on s'en fout éperdument. Mais cela nuit à toute la crédibilité du récit. En fait, ce manga fait penser aux séries de la pire espèce créées pour valoriser une pratique X ou Y (le foot chez Jeanne et Serge, la danse pour Fame, etc.) : le scénario n'est qu'accessoire et semble n'exister que pour permettre les scènes qui ravissent les aficionados des combats...
Pire, le dessin de Taniguchi, traditionnellement fin et sensible, est ici grossier voire inexact d'un point de vue anatomique dans les (trop) nombreux combats.
Les deux scènes de sexe (à défaut d'être érotiques) sont visiblement plaquées artificiellement : elles concernent deux personnages accessoires et n'apportent rien à la narration (à part essayer de retenir le lecteur ?).
Alors oui, on peut trouver des échos annonciateurs du fascinant Sommet des dieux des mêmes auteurs : la lutte intérieure et la difficulté du rapport avec le monde extérieur, l'expression d'une volonté d'airain et la détermination farouche des personnages à suivre un objectif qu'ils se sont assignés (la montagne pour Habu Jôji et la victoire pour Bunshichi Tanba), la recherche d'un absolu, d'un sens à l'existence au prix de l'écrasement ou du sacrifice des individus qui les entourent... On notera que la structure narrative est assez similaire : le point de vue est celui d'un personnage extérieur permettant au lecteur de s'identifier au narrateur tout en plaçant les scènes d'exposition. Si le journaliste Fukamachi du Sommet des dieux trouve sa raison d'être, le jeune pickpocket qui s'entiche de Tanba dans Garôden est totalement inintéressant, narrativement parlant, à tel point qu'il semble abandonné par les auteurs en rase campagne.



Le seul point un peu intéressant est l'évocation, à plusieurs reprises et par plusieurs personnages, de la pulsion du combat : ils ressentent comme un échauffement intérieur, comme si le sang bouillait. Cette pulsion, cette tension m'a rappelé les descriptions du Sang noir de Bertrand Hell. Dans cette passionnante étude sur l'imaginaire européen de la chasse, il traquait les manifestation d'un archétype, d'une pulsion qui hante et traverse les représentations de la Nature et de la Culture dans l'inconscient collectif médiéval-contemporain de l'Europe. On y découvre la ligne de faille entre le domestique et le sauvage, l'expression du "sang noir" qui saisit certains individus et l'impérieuse nécessité de s'ensauvager et de partir chasser pour se délivrer de cette tension.
D'un mauvais manga à une étude ethno-historique passionnante, les détours de la lecture sont parfois surprenants.




À qui l'offrir

- aux fans de catch, à part ça je vois pas...


Si vous avez aimé Garôden, vous aimerez peut-être :

- Le sang noir, une passionnante étude ethno-historique

- Le sommet des dieux des mêmes auteurs. Garôden n'est que le brouillon de cette superbe histoire.





- Quartier Lointain, le chef d’œuvre de Taniguchi (alors seul aux commandes).

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