La double vie de Véronique - Krzysztof Kieslowski [Critique]

J'ai revu La double vie de Véronique. Et je ne m'en remets toujours pas. Les mots ne viennent qu'imparfaitement.

La bande-annonce ici.

L'histoire : deux femmes identiques en tous points, une française et une polonaise. Reliées mystérieusement l'une à l'autre, jusqu'à ce que l'une décède...

Le reflet est le motif principal du film. Reflet des visages dans les miroirs, jeu de lumières qui les inonde, reflets sonores que la musique crée entre des personnages que tout lie mais qui ne font que se croiser. Des motifs narratifs se font échos et tissent une oeuvre à la fois transparente et opaque. Véronique, vera icona elle-même, mais laquelle des deux ? Sont-elles une, deux ou plusieurs ? Le monde est un reflet, les êtres également, mais à quoi cela renvoie-t-il ? Tout y est évident et pourtant lorsque les mots affleurent, ils échouent à rendre compte de la grâce subtile qui irrigue chaque plan. La saturation verte et jaune des images, n'est pas sans faire penser au traitement de Caro et Jeunet, le criard en moins. Le film est constamment au bord de verser dans l'abscons, au risque de poser et pourtant ce n'est jamais le cas. Kieslowski sublime chaque plan pour nous montrer l'indicible et faire face au mystère. Film platonicien, l'art est ce qui nous permet de dissiper les ombres de la Caverne : le chant pour Weronika jusqu'à la mort, la photographie pour Véronique, le cinéma pour Kieslowski. C'est à nous de faire le reste du chemin. Certaines pistes sont évidentes. De nombreuses autres nous égarent et restent sans réponse.




Krzysztof Kieslowski est un parfait alchimiste. Il nous démontre la puissance du fantastique dans le cinéma tel qu'il le conçoit et le réalise. A revoir La double vie de Véronique on mesure à quel point le cinéma a changé et est, en même temps, intemporel. Il nous montre la platitude de tant d'images numériques dont nous sommes abreuvé à longueur d'une SF le plus souvent indigente ou de super-héros à la vacuité narrative abyssale.
La musique de Zbigniew Preisner et de Van Den Budenmayer (son alter ego et, là encore, reflet) est au centre du film, objet et agent de la narration. Elle lie chaque plan et les âmes. Elle est littéralement porte entre les mondes et traduit l'amour de l'Art cinématographique et musical qui unit Kieslowski et Preisner dans La double vie de Véronique.
La beauté intemporelle d'Irène Jacob habite chaque seconde du film, de cette beauté dont on remercie le Ciel qu'il nous soit accordé la grâce de l'observer ne serait-ce qu'un trop court instant. Philippe Volter (Alexandre), malgré un rôle un peu moins écrit (psychologiquement parlant) incarne avec justesse le trouble qui saisit Véronique. Que sait-il ? Comment le sait-il ? Le sait-il lui même ? A-t-il conscience des forces qu'il manipule ? Il est lui-même dépassé face au mystère de l'amour, comme un petit garçon entré par mégarde dans la cour des grands. Et que font les Polonais, inquiétants psychopompes, dans le hall de la gare Saint-Lazare ? Eux qui reconnaissent en Véronique, Weronika qui n'est plus.



Notre existence est remplie de traces, signes, d'échos, de diffractions auxquels nous sommes le plus souvent absents, sourds et aveugles. Et nous errons dans le mystère de l'existence sans guide ni consolation. Kieslowski, tragique marionnettiste sous les traits d'Alexandre, projette les ombres sur le mur de la Caverne de nos âmes et nous donne à voir. Et à pleurer.

Revoir La double vie de Véronique est décidément une expérience troublante.





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