L'insoutenable gravité de l'univers - Gabriel Chardin

Cinquième participation à l'opération Masse Critique de Babélio (vous savez, je reçois un livre que je choisis et je fais la critique dans le mois qui suit). Que Babélio et les éditions Le pommier soient ici remerciés !


Alors c'était en mai dernier et Masse critique proposait des ouvrages jeunesse et jeune adulte. J'aime bien, mais là ce n'était pas ce dont j'avais envie. Et au milieu, perdu, il y avait L'insoutenable gravité de l'univers de Gabriel Chardin. Avec sa référence à Kundera, le titre aurait pu être celui d'un roman, mais un coup d’œil sur l'éditeur (spécialisé en vulgarisation scientifique) me confirma qu'il s'agissait bien d'un essai de physique autour de la gravité.

Tout, dans cette chronique, repose sur de profonds malentendus.

Le premier, dont je suis coupable, est d'avoir pu croire que je pouvais faire fi d'études de sciences pour lire de la science. Ahlala ! Qu'allais-je faire dans cette galère ? Si les Christophe Galfard (billet à venir) et autres Jean-François Becquaert ne m'avaient pas fait croire que je pouvais faire illusion et sortir la tête haute de la confrontation avec un tel livre, je ne serais pas là en train de rendre les armes face à 400 pages dont je n'ai pas compris grand'chose. Ce n'est pas la prose de M Chardin qui est en cause, ni la syntaxe mais ce à quoi les mots font référence.



Les concepts, quoi. 

Bon il faut quand même que je vous dise de quoi ça parle. Je pars du principe que vous n'y connaissez rien et que les spécialistes ne lisent pas ce billet. En gros, les physiciens essaient depuis toujours de mettre en équation le fonctionnement du monde qui nous entoure. Newton au XVIIIe siècle a posé en équations les règles du mouvement des corps qui nous environnent et qui sont à notre échelle. En clair, quand on lance un objet, les équations de Newton fonctionnent.
Et ça marche encore.
C'est valable jusqu'au mouvement des planètes du système solaire qui a beaucoup occupé le Moyen Âge, la Renaissance et l'Ancien Régime (Ptolémée qui décrit le ciel qu'on voit, et hop du coup on part pour 12 siècles de géocentrisme. Puis on a brûlé Giordano Bruno et ça été chaud pour Copernic et Galilée et enfin il y a Newton). Ces équations sont valables pour l'expérience quotidienne de 99,9999999999999999999999999 % de la population mondiale, dans la vie de tous les jours.
Cependant il y a de l'infiniment petit et de l'infiniment grand autour de nous. Et là, ça ne fonctionne plus. Mais alors plus du tout.
Pour l'infiniment petit, la physique quantique s'y colle. Que le premier qui comprend me fasse signe ! Mais bon, ce n'est pas le sujet du livre.
Pour l'infiniment grand, on s'est rendu compte qu'il y avait un petit problème sur l'orbite de Mercure autour du Soleil. Et là, c'est au tour de Einstein de proposer les théories de la Relativité restreinte en 1905 et de la Relativité générale en 1915. Il nous dit que l'univers est un tissu dont le textile est composé de temps et d'espace, intriqués ensemble. Que les masses, par la gravité, déforment l'espace-temps (c'est-à-dire l'espace ET le temps, en même temps, parce qu'il s'agit de la même chose). Démonstration avec l'éclipse de 1919 qui montre la déviation des rayons lumineux d'autres étoiles par la masse du Soleil dont la luminosité propre est occulté par la Lune. Et ces théories expliquent la déviation minime mais mesurable de l'orbite de Mercure. CQFD.

Sauf que la physique quantique (pour l'infiniment petit) et la Relativité générale (infiniment grand) sont incompatibles ensemble. A cela s'ajoute un autre problème : l'amélioration de la qualité des observations permet de détailler les autres galaxies observables, d'estimer leur taille et leur contenu, ainsi que leur masse. Or, en appliquant les lois de Newton sur le mouvement centrifuge des galaxies (elles tournent sur elles-mêmes), il devrait y avoir beaucoup plus de matière. Les galaxies devraient être beaucoup plus massives si elles ne veulent pas éjecter leurs étoiles comme un enfant intrépide sur un tourniquet tournant trop vite. Il en manque. Et pas qu'un peu. Il en faudrait 500 fois plus pour que le mouvement apparent des galaxies corresponde aux lois.
Donc c'est là où les scientifiques se disent : soit mes lois sont mauvaises, et pourtant elles fonctionnaient bien, mais vraiment bien, jusqu'à permettre d'envoyer des satellites, des fusées, donc ça doit marcher ; soit il y a de la matière qui, à la fois, ne se voit pas (donc n'émet aucun rayonnement électromagnétique : on ne la voit pas avec aucun télescope et on ne la détecte avec aucun capteur type radar, ou autre) et, en même temps, est suffisamment présente pour interagir avec la masse présente (celle qui est visible, que les physiciens appellent matière baryonique) et toute cette matière bizarre représente environ 26% de la masse totale de l'univers (quand même), alors que la masse visible (la baryonique) ne représente, elle, que seulement 4 %.

Oui, vous avez bien lu.
Tout là, autour de vous, la table, votre chaise, le corps de tous les humains, toute la biosphère, l'ensemble des milliards d'atomes de la terre, mais aussi ceux de tout le système solaire, ceux des environ 250 milliards (oui, milliards) d'étoiles de notre galaxie, ceux des milliards d'autres galaxies dans l'univers. Oui, tout ça, ce n'est que 4 % du tout !

Le reste, les 26 %, c'est quoi ? et bien c'est ce qu'on appelle la matière noire dont je viens de vous parler (qu'il faudrait mieux appeler matière transparente).

Et les 70 % restants ? Et bien c'est une énergie que l'on appelle noire pour les mêmes raisons. A quoi sert-elle ?
Et bien, même en ayant le niveau maternelle en astrophysique, nous savons tous que la gravité attire à elle la matière en l'agglomérant : ce qui fait qu'on ne lévite pas, non, on retombe sur Terre quand on saute (re-coucou Newton, la pomme, toussa toussa). Donc logiquement, la matière répartie dans l'univers dans des océans de vide immense, devrait se rapprocher entre ses différents paquets (=galaxie, matière interstellaire etc.). Or c'est l'inverse qui se produit. L'univers s'étire, s'étend, indépendamment du mouvement propre de la matière qui s'y trouve. Plus précisément : la matière s'attire conformément aux lois de la gravité. Ainsi notre galaxie et celle d'Andromède, sa plus proche voisine, vont se télescoper dans quelques milliards d'années. Elles se rapprochent donc l'une de l'autre.
A l'intérieur des galaxies, la matière se rapproche (si elle est suffisamment proche) pour s'agglomérer en étoiles etc., toujours conformément aux lois de la gravité. Mais si les objets sont suffisamment loin, alors, indépendamment de leur mouvement propres, elle peuvent s'éloigner car c'est la texture même de l'univers qui s'étend.
Imaginez deux fourmis qui se déplacent l'une vers l'autre (quelles se soient vues, ou non) sur une immense nappe en latex. On étire le latex : les fourmis ont un mouvement propre qui les rapproche, mais c'est la toile qui s'étire, et si elles sont trop loin alors elles ne se rejoindront jamais. Et bien c'est ce qui se passe à l'échelle de l'univers. L'étirement n'est pas uniforme, il est plus rapide selon l'éloignement. Plus c'est loin, plus cela s'éloigne vite de vous (bizarre, hein ?). La vitesse actuelle est de 70 km par seconde par mégaparsec (vous chercherez). Il faut donc une énergie folle pour étirer cet univers qui s'est formidablement agrandi à sa naissance, puis dont la vitesse d'expansion a augmenté aux alentours de 8 milliards d'année. D'où l'énergie noire, dont l'action est ainsi antigravitationnelle.

Sauf que voilà, Gabriel Chardin n'est pas d'accord. Mais alors pas du tout.
Il trouve cela particulièrement alambiqué d'inventer deux paramètres introuvables (matière et énergie noires, donc) qui composent 96 % de notre univers, seulement pour permette de maintenir les théories actuelles.
Il propose pour sa part une autre hypothèse : il a autre chose sous la main. L'antimatière. Stop, on arrête tout de suite, rien à voir avec la SF. A la naissance de l'univers, la matière et l'antimatière étaient à part égales et se sont annihilées mutuellement mais, des fluctuations quantiques font que ce que nous appelons "matière", et qui nous compose, semble avoir gagné la partie et survécu en quantité infinitésimale. Gabriel Chardin pense que en fait il reste de l'antimatière (de la matière avec une charge inverse, des élections positifs par exemple) en quantité suffisante mais suffisamment distante pour ne pas être environnée de matière et donc de s'annihiler immédiatement et rayonner à ce moment-là (on verrait alors ce rayonnement, or on ne le voit pas). Or l'antimatière a un effet antigravitationnel. En utilisant le principe de Mach dans un univers de Dirac-Milne.
Cela permet ainsi d'évacuer matière et énergie noire. CQFD. Ce qu'il faut démontrer.

Et c'est là où je m'arrête, parce que après je ne comprends plus rien. Tout ce qui précède se trouve certes dans le livre, mais l'auteur explique les impasses des théories dans des termes que je suis incapable d'estimer. Il explique le principe de Mach, il montre que les différentes équations d'univers (Einsten-De Sitter et autres) peuvent être remplacés par celle de Dirac-Milne, mais là cela fait longtemps qu'il m'avait perdu. J'ai lu tout l'ouvrage, non pas en comprenant le texte, mais en essayant de comprendre ce que Gabriel Chardin voulait dire.

Et sans bagage scientifique, j'ai ramé. Sévère.

Je suis donc bien en peine d'avoir un avis sur ce livre, sur son contenu. Car il y a un malentendu : Masse critique jeunesse et jeune adulte chez Babélio, je crois que c'est une erreur d'aiguillage !
Et lorsque l'auteur propose dans son mode d'emploi : J'espère que leur contenu [des chapitres du livre] pourra intéresser autant le lecteur curieux de sciences qu'une fraction significative de mes collègues physiciens et mathématiciens qui travaillent, parfois depuis plusieurs dizaines d'années, à la résolution de l'énigme. (page 7)
Si je me reconnais pleinement dans la première catégorie, je pense que l'auteur pensait plus à la seconde en écrivant l'ouvrage. Et là on revient au premier malentendu, le mien, celui d'avoir cru pouvoir triompher de ces pages.

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