White spirit - Shoof / Ensemble Al Nabolsy / Derviches Tourneurs de Damas



L'ensemble Al Nabolsy, accompagnés de trois derviches tourneurs de Damas et du graffeur Shoof se sont produits la semaine dernière au Lieu Unique à Nantes.





Spectacle rare de représentants d'une tradition millénaire du soufisme.
Il y est question d'accéder au divin par la transe. La fascinante performance des danseurs est portée par les chants de l'ensemble Al Nabolsy. Le taggeur Shoof, pendant ce temps, traduit graphiquement les volutes du chant et de la danse. Elle ne se dévoile que progressivement par l'utilisation de la lumière noire. Le spectacle total étreint progressivement les témoins que nous sommes. Le chant lancinant s'insinue dans les corps ; les trilles visuelles et les spirales sonores emportent l'esprit et l'âme dans une torpeur unique.

S'il est peu probable d'être soi-même, en tant que spectateur, invité dans la transe, le pacte du spectacle permet d'approcher ou, à tout le moins, d'imaginer les états altérés de conscience. L'œuvre d'art, ici le spectacle total, induit des états de perception originaux et spécifiques. Ils transforment le spectateur par la liturgie du spectacle.
Le contrat du spectacle qui lie artiste et public est de dissimuler, par la fusion entre les officiants et les spectateurs, la frontière sacrée qui les sépare. La représentation crée un univers partagé, tant physique que psychique à la fois. C'est le lieu de l'Art. Un espace qui n'existe que par l'engagement de tous, artistes et spectateurs. Une communauté éphémère et éternellement renouvelée.

À ce moment là certains rompent le cercle magique de l’envoûtement.

Aussi ahurissant que cela puisse paraître, des spectateurs songent alors à sortir leur portable pour faire des photos ou, pire, prendre de courtes vidéos d'un spectacle qui trouve son unité dans son aura, dans le fait de se dérouler ici et maintenant.
Le secret de la transe réside dans la dilution de ce qui nous sépare tous, le spectateur y concoure par son ravissement. Prendre une vidéo, c'est mettre à bas tout le dispositif spectaculaire, c'est littéralement mettre un écran entre soi et ce qui arrive, c'est s'extirper, se sortir de la matrice du rêve, c'est, tout d'un coup, être ébloui par la luminescence de l'écran, sentir son poids sur le fauteuil un peu trop petit, être à nouveau ici et non plus .
Ce qui se joue c'est la négation du spectacle lui-même.
À l'ère de la reproductibilité infinie de l'œuvre d'art dans des univers numériques, qu'importe l'enregistrement partiel de fractions d’œuvres sur des clouds que personne n'ira revisiter, quel intérêt d'alimenter des fils numériques que personne n'ira exhumer ? S'agissait-il de prouver que l'on était ? Alors que justement on n'a jamais été moins présent à ce qui se jouait que caché derrière son écran.
Walter Benjamin analysait la disparition de l'aura de l’œuvre par la dilution de son authenticité. Il n'imaginait probablement pas son anéantissement par de minuscules écrans numériques qui verrouillent les âmes.



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