Le pouvoir des contes - Bernard Chouvier


Quatrième envoi dans le cadre de l'opération Masse Critique. Que Babélio et les éditions Dunod soient ici remerciés !

Et là c'est une bonne pioche.

Les plus fidèles d'entre vous ont pu remarquer un enthousiasme mesuré lors des précédentes lectures Masse Critique (pour ceux qui l'ignoreraient, Masse Critique est une opération où, en échange d'un ouvrage gratuit, je rédige cette chronique dudit ouvrage) : , et .


C'est un drôle d'ouvrage que proposent les éditions Dunod, éditeur connu pour son sérieux. Non que Le pouvoir des contes ne le soit pas, mais plutôt que l'énonciation du propos est surprenante.
En effet l'auteur, psychologue et psychanalyste, laisse de côté le discours impersonnel des essais pour ancrer le texte dans une subjectivité assumée.
L'ouvrage débute ainsi : J'ai connu le plaisir des contes grâce à ma grand-mère, je veux dire la mère de mon père, car l'autre, je ne l'ai pas connue, j'ignore même jusqu'à son nom. Marie-Victorine était un être d'exception.
Bernard Chouvier ne lâchera pas son histoire personnelle, celle des émotions du lointain petit garçon qu'il fut, blotti contre une grand-mère fascinante et impressionnante (oserais-je dire une Babayaga ?) qui lui ouvrait la boîte magique des contes.
Ce parti-pris narratif a de quoi surprendre durant les trente premières pages (toujours laisser au moins trente pages à un livre). Ce fil rouge dévoile en fait le véritable projet de l'auteur. Non de livrer une autobiographie contée (quoiqu'elle transparaisse) mais bien d'ancrer l'analyse des contes qu'il propose dans une esthétique de leur réception. Bernard Chouvier détaille et dévoile les fonctions du conte dans la psyché de l'auditeur et plus particulièrement de l'enfant qu'il fut, mais aussi (de manière parcimonieuse) de ses jeunes consultants.
Il est difficile d'offrir plus honnête pacte d'analyse pour le lecteur que de dire d'où l'on parle. De quels lieux contés nous provenons.
Toutes proportions gardées, une telle démarche fait écho à Corps pour corps, journal de terrain de Jeanne Favret-Saada (avec Josée Contreras), clé de son époustouflant Les mots, la mort, les sorts.


L'auteur nous prend par la main et nous emmène rencontrer les figures qui l'ont marqué : le lutin, le Diable, le petit Chaperon Rouge, Cendrillon... Pour chacun, il montre quelle tension psychique sous-tend le conte et quelle résolution il propose. Les lieux sont ensuite traversés : la forêt, la montagne... Pourtant ce sont des lieux qui n'en sont pas. Ce sont des non-lieux que chacun peut habiter de sa vie intérieure.
Puis les différents objets magiques (la poupée qui mange, le pipeau justicier...) sont analysés dans leur fonction d'objets transitionnels, de ceux qui aident à résoudre les problèmes, objets magiques certes, mais objets magiques temporaires afin d'aider le jeune auditeur à accepter la frustration du réel, graduellement.
Enfin, les métamorphoses apparaissent comme autant d'acceptation de la permanence et de l'impermanence de l'identité.
Le texte de l'auteur est ainsi émaillé de synthèses courtes et éclairantes qui donnent à comprendre les enjeux psychanalytiques et sociologiques de la fonction des contes.
Cette qualité est aussi une des limites du texte de Bernard Chouvier.
Dans la perspective qui est la sienne, l'auteur méconnait les travaux des mythologues qui lui auraient permis d'écarter certains aspects un peu vite affirmés, comme le recours à l'explication chamanique ou évhémériste. Le chapitre "l'oiseau" (p. 164) aurait tellement gagné à s'enrichir de la lecture de Ma mère l'Oye de Philippe Walter ; Cendrillon et Le Petit Chaperon Rouge dans les travaux de Pierre Saintyves !
Mais là on entre dans la poétique du conte et du mythe, ce qui n'est pas le propos de Bernard Chouvier.



Derrière un texte somme toute assez court (l'ouvrage se lit vite -c'est une qualité !), l'auteur réussit à créer un portrait assez complet des réponses et du soutien que les contes, dans leur richesse et leur diversité, apportent à la psyché des jeunes (et moins jeunes) humains qui les écoutent.
Il en est une excellente introduction et il donne ainsi furieusement envie de se (re?)plonger dans le recueil des frères Grimm (le livre le moins lu qu'il soit), ce qui n'est pas la moindre de ses qualités.

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