Middlesex - Jeffrey Eugenides


Calliope est née... fille après une séance de divination de genre sur le ventre de sa mère et dans la cécité successive des accoucheurs et médecins de famille. Elle se pense, se sent, se vit "fille" sans plus s'interroger. Sur quoi déjà ? Calliope, Calli, Cal, Middlesex raconte le destin d'un hermaphrodite dans l'Amérique des années 60.

Mais le cœur du roman n'est pas vraiment là.
Il est à Smyrne, en Turquie, gisant dans un secret de famille, scellé au milieu de l'Atlantique, deux générations plus tôt. Middlesex c'est d'abord l'épopée d'une famille d'immigrants en Amérique, leur histoire, ce qui se joue, se noue et se dénoue au fil des générations.
Middlesex en ce sens est beaucoup plus proche de son grand modèle, Cent ans de solitude, livre-monstre, 
livre-monde, livre-univers indépassable. Jeffrey Eugenides traque et exhibe la folie quotidienne qui hante les familles.
 À la différence de l'œuvre écrasante de Garcia Marquez, l'auteur ancre la vie des parents et grands-parents de Calliope dans la grande histoire. Mais ici la faute originelle a des conséquences génétiques un demi-siècle plus tard. Elle s'inscrit dans le corps de Calliope qui devient un lieu flou.

Cette indétermination est finalement si puissante qu'elle se cache à elle-même. La révélation à soi étant finalement tardive, le destin de Calli ne reprend les rênes du récit que dans le dernier tiers du roman. Et c'est à regret que l'on quitte cette famille pour essayer, sans réussir vraiment, à s'intéresser au destin un peu bâclé du personnage principal.

Plus problématique à mon sens est que Jeffrey Eugenides échoue à inscrire stylistiquement ce que c'est que d'être une jeune fille puis de ne pas savoir ce que l'on est, et enfin de se choisir homme. On est dans une fresque mais pas assez dans un journal intime. Le livre est paradoxalement trop grand pour rendre compte de ce trouble aussi finement qu'il le devrait et de nous permettre de chausser les lunettes de l'hermaphrodisme.
Jeffrey Eugenides est un auteur et ce livre est de la Littérature à n'en pas douter, mais on dirait qu'il s'est trompé dans sa boite à outils. Le voyage n'est pas assez intime et Cal reste à mon sens un corps fouillé, visité, comme lors des séances médicales où il est exhibé aux médecins fascinés, mais toujours inconnu.
Middlesex se lit avec plaisir (je l'ai lâché à plusieurs reprises cependant) mais, ample et ambitieux, réside en lui l'ambition d'une odyssée intime qui reste à écrire.

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