Whiplash (Damien Chazelle) / Captain Fantastic (Matt Ross)

Whiplash et Captain Fantastic.
Deux films travaillés par une question décisive : jusqu'où aller dans la transmission ? A quel prix ? Faut-il violenter pour éduquer, pour tirer le meilleur d'un individu (Whiplash) ou alors faut-il isoler ses enfants pour les protéger de la société (Captain Fantastic) ?




L'histoire : Andrew veut devenir batteur, un grand batteur, le plus grand de tous les temps.
Il rêve d'intégrer la classe de Terence Fletcher. Dès son arrivée dans le groupe, Andrew va subir la pédagogie chaotique de Fletcher qui fascine ses élèves, les terrorise, les frappe, les insulte, les félicite, les monte les uns contre les autres, les met en concurrence. Pourquoi ce déchaînement de violence et cette fascination des élèves pour un mentor hurleur ?






Parce que dans un bar, alors qu'Andrew a quitté le groupe depuis longtemps, Fletcher lui raconte l'histoire de Charlie Parker : devenu un dieu du jazz après avoir reçu une cymbale en plein visage d'un autre musicien, tout simplement parce qu'il n'avait fait que "bien jouer". Blessé à l'orgueil, Parker n'aura de cesse de devenir un des plus grand, sinon le plus grand. Fletcher, en véritable adepte de la musique est en quête de son Charlie Parker. Torturant psychologiquement ses élèves, il n'a de cesse de faire éclore un talent, un seul, un vrai, un génie.




Chazelle, dans un film éprouvant met aux prises deux hommes, chacun en quête de l'autre. Andrew et Fletcher ne sont que deux faces de Janus d'une même ascèse, d'une même exigence, envers soi et envers autrui. Car ce n'est que de leur interminable combat, dans leur danse syncopée que jaillit enfin la grâce dans une extraordinaire scène finale.
Les planètes s'alignent, le monde retient son souffle et Andrew joue enfin comme jamais personne n'a jamais joué, porté par un Fletcher qui sait que tout se joue, là, ici et maintenant.
La caméra de Chazelle nous porte au cœur du dépassement de deux hommes, deux hommes en quête de la divinité qui est en chacun de nous.







Captain Fantastic, c'est Ben (Viggo Mortensen).
Père solitaire d'une tribu de six enfants, élevés à l'écart du monde. Une tribu où l'on ne fête pas Noël mais la naissance de Noam Chomsky, où l'on reçoit un couteau de chasse pour ses 5 ans, où on connait par cœur la Constitution des Etats-Unis à 12, et où on lit de la physique quantique à 15.





Matt Ross brouille les repères pour son public américain en multipliant les références contradictoires : celle d'une culture américaine éternelle libertaire trahie par la modernité de l'american way of life. Dans des confrontations savoureuses, notamment avec la société américaine qu'ils tentent en vain d'éviter, la tribu Fantastic revivifie les valeurs des Pères fondateurs de la nation Amérique et des Lumières dans un naturalisme que ne renierait pas le Thoreau du Walden ou la vie dans les bois.


Pourtant c'est bien à l'impasse d'une utopie que semble mener Captain Fantastic. La confrontation avec la société de consommation montre que le modèle éducatif, fascinant mais intransigeant, de la famille Fantastic est miné de l'intérieur. Non pas dans ses objectifs, celui d'élever ses enfants en des adultes responsables, absolument autonomes et indépendants de la société de consommation, mais dans la contradiction qui réside en l'inaptitude de cette famille à vivre dans la société. Le dernier plan, lent travelling arrière silencieux, long et apaisé, ne laisse pas de jeter une douce ambiguïté sur les choix éducatifs de cette bien peu orthodoxe famille.
On rêve de les rencontrer ces êtres si parfaits, mais peut-être ne sont-ils que cela, des ideal-type, l'incarnation d'une Amérique qui n'aurait pas trahi ses idéaux, une Amérique que l'on aime aimer, ce Rosebud qui survit en chacun de nous.

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