Auschwitz, la mémoire d'un lieu - Annette Wieviorka




Encore !
Cet adverbe, nous l'entendons chaque fois qu'est proposé sur Auschwitz un livre, un film, un voyage de lycéens... Encore ! Mémoire saturée, fascination perverse pour l'horreur, goût mortifère du passé, instrumentalisation politique des victimes... Sortir enfin d'Auschwitz... Oublier que cela fut. Ou alors en parler, à la condition d'inscrire les morts d'Auschwitz dans la litanie des assassinés en masse : Indiens d'Amérique, morts des champs de bataille de la Première Guerre mondiale, Arméniens, paysans ukrainiens, Kosovars, hommes de Sebrenica, Tutsi, Herero, Cambodgiens, jusqu'à ce qu'ils se dissolvent.
" Encore ! vont dire les blasés, ceux pour lesquels les mots chambres à gaz, sélection, torture,  n'appartiennent pas à la réalité vivante, mais seulement au vocabulaire des réalités passées."


Le livre d'Annette Wieviorka est un tour de force.

Tout d'abord en se colletant avec les écueils majeurs du sujet : la fausse connaissance et l'évitement. On croit savoir, on croit que l'on sait. Encombrés que nous sommes de représentations horrifiantes (le plus souvent issues de Nuit et Brouillard, et de Nuremberg à Nuremberg) et d'un savoir fragmenté et, somme toute, assez paresseux.
Et on découvre que l'on ne sait pas grand-chose.
De ces mémoires qui se télescopent et parfois se confrontent : mémoire polonaise peu partageuse du site, ignorée du reste du monde et peu désireuse d'accepter la mémoire des autres victimes, celles des témoins de Jéhovah, si discrète et aussi méconnue, celle des homosexuels, victimes d'une vindicte toute personnelle de Rudolf Höss, commandant du camp, celle des Juifs de tous pays, celle des femmes...
On y apprend l'histoire complexe et accessible de ce camp multiple : la chronologie des 3 sites principaux fait coexister en un même lieu camp de concentration et centre de mise à mort.
On y apprend l'histoire des tatouages, celle des Tsiganes, celle de l'or des Juifs pillé par la Reichsbank depuis Birkenau et des recherches sordides des polonais sur le site dès la fin de la guerre...
On y voit comment Annette Wieviorka répond en quelques pages limpides aux négationnistes.

Mais la grande qualité de l'ouvrage de Annette Wieviorka est son souci du lecteur : Auschwitz, la mémoire d'un lieu reste constamment accessible indépendamment de tout bagage historique. Il construit un savoir historique des plus complets, au plus prêt des sources, sans jamais exclure le lecteur.

Il n'y avait bien longtemps que je n'avais pu lire un essai.
Les années passant, qui éloignent des études universitaires, les cycles de la vie, l'aliénation du travail ne me laissaient plus accéder aux ouvrages historiques qui me regardent depuis ma bibliothèque, comme autant de reproches silencieux. Ils sont là et je ne peux les ouvrir, ils me tombent des mains alors que certains ont changé ma vie.
Je dois ainsi aux talents d'écriture et de pédagogue d'Annette Wieviorka de pouvoir enfin recommencer à relire un ouvrage historique, intégralement. Et ça, ce n'est pas rien.


A qui l'offrir ?

- aux négationnistes de tous poils
- à ceux qui se reconnaissent dans les premiers mots de l'ouvrage (voir plus haut)



Pour aller plus loin

La bibliographie consacrée à Auschwitz est gigantesque. Quelques ouvrages m'ont marqués.

Auschwitz l'histoire de deux albums : un ensemble transmédia dont j'ai assuré la réédition : un livre L' album d'Auschwitz, un DVD et un webdocumentaire.








Le rapport Pilecki. La vie de Witold Pilecki est proprement extraordinaire. Il s'agit du seul interné volontaire, membre de l'armée intérieure polonaise, il se fait rafler, torturé pour être interné et monter de l'intérieur un réseau de résistance. Il s'échappe en 1943 et rédige son rapport en 1944. Arrêté par les communistes, il est assassiné en 1947. Son rapport vient d'être traduit et l'édition française par de nombreux encadrés, apporte de nombreux contrepoints et compléments historiques au témoignage époustouflant mais forcément partiel de Pilecki.





L'Allemagne nazie et les Juifs de Saul Friedländler. La somme d'un historien majeur sur la Shoah, un livre définitif ?


 







 Images malgré tout de Georges Didi-Huberman. Un ouvrage ambitieux, une archéologie de l'image, de 4 images rescapées, soutenues par les témoignages des survivants des Sonderkommandos. Un texte ambitieux et passionnant.






Les orpailleurs de Thierry Jonquet. Annette Wieviorka le cite dans la partie consacrée au pillage des biens des juifs dans les camps et surtout par les fouilles sauvages réalisés par les paysans polonais, dès 1945-1946.









L'ouvrage sensible de Agnès Desarthe, Le remplaçant.

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